Sauf extraordinaire, Donald Trump a été élu président des États-Unis cette nuit, par une majorité des Américains. Son parti, désormais placé sous son contrôle étroit, devrait contrôler les deux chambres du Congrès.
Un nouvel espace public a émergé. La confiance que les Américains plaçaient dans leurs institutions, des médias aux universités, de la justice aux forces armées – du moins, leurs officiers généraux –, est en pièces. Cette victoire, qui en est la conséquence, ne fera qu’aggraver le phénomène.
L’étoile des oligarques
Tout mène à Elon Musk. “Une étoile est née” a dit de lui Donald Trump dans son discours de victoire : “Quel homme extraordinaire !”. En effet, les élections de 2016 et 2020 avaient été marquées par Fox, que son statut de chaîne de divertissement protégeait des règles sur la télévision d’information. Mais cette année, les principaux facteurs d’influence ont été X-Twitter, l’IA et les cryptos.
Yann LeCun, prix Turing et directeur scientifique de l'IA chez Meta, avait résumé la situation en s’adressant ainsi à Elon Musk : "Vous êtes un oligarque qui s'est acheté un énorme mégaphone pour soutenir un dictateur en puissance", écrivait-il dans un tweet cité par l’AFP. Il n’est pas seul : de Marc Andreessen à Jeff Bezos, nombreux sont ceux qui ont senti venir le vent. Mais Elon Musk est allé plus loin que tout le monde.
Réseau social de propagande
Pendant les deux ans qui ont suivi son rachat de Twitter en 2022, il a progressivement abattu ses cartes. Ce n’est que ces dernières semaines que l’on a compris qu’il avait créé le premier réseau social de propagande de l’histoire de la tech.
L’algorithme a été retouché pour permettre à Musk d’atteindre 200 millions de followers et exposer tous les utlisateurs à des tweets et des vidéos reflétant le soutien à Trump du Sud-Africain naturalisé Américain. Certes, avec environ 350 millions d’utilisateurs mensuels, X-Twitter reste loin derrière TikTok et les réseaux de Meta. Mais l’outil est incomparablement plus puissant que Truth Social, le réseau social créé pour Donald Trump, qui ne réunit que 5 millions de personnes chaque mois. En valeur absolue : selon le Center for Countering Digital Hate, les publications politiques d’Elon Musk depuis qu’il a pris publiquement position pour le candidat républicain ont été vues 17,1 milliards de fois. Mais aussi parce que X-Twitter est resté le lieu du discours intellectuel et politique. L’opinion publique qui s’y forge se répercute ensuite dans les grands réseaux sociaux.
La poutre et la paille
Au moins 50 des posts de Musk contenaient de la désinformation, notamment un deepfake de Kamala Harris (lire Qant du 2 août), une fausse carte électorale attribuée mensongèrement au politologue Nate Silver et une vidéo truquée pour confirmer que les immigrants haïtiens mangeait bien les chats et les chiens des bons bourgeois de l’Ohio. Début août, ces posts avaient été vus 1,2 milliards de fois.
Le chatbot Grok a également été accusé de répandre de la désinformation électorale, par plusieurs officiels d’États américains, chargés de veiller à la bonne tenue des élections. Plus généralement, sur l’IA, Donald Trump a embauché Brad Parscale, le conseiller qui lui avait permis, en 2016, de manipuler Facebook grâce à Cambridge Analytica. Ce printemps, Parscale expliquait à Associated Press que sa société, Campaign Nucleus, utilise l’IA pour générer des e-mails personnalisés, analyser l’évolution de l’opinion, trouver des électeurs influençable et, selon l’agence, amplifier les “bons” messages dans les réseaux sociaux.
Les agences de sécurité américaines se sont publiquement inquiétées des ingérences russes, iraniennes et chinoises, aidées par l’IA. Toutefois, la source principale semble avoir été interne aux États-Unis, même si la campagne Trump s’en défend publiquement.
Même si on ne peut encore mesurer rigoureusement l’effet des fakes d’IA et de la désinformation dans la campagne, il est déjà possible de juger l’arbre à ses fruits.
L’argent des cryptos et l’avenir de Musk
Elon Musk a également apporté plus de 100 millions de dollars (92 M€) à la campagne Trump. Mais il n’est pas le seul, ni même le principal. Fairshake, le comité d’influence des sociétés crypto, a été doté de plus de 200 millions de dollars (185 M€), notamment par Coinbase, Ripple et le VC Andreessen Horowitz, qui ont contribué environ 50 millions chacun. Pari gagné : au moment où il est paru clair que le républicain allait gagner, le bitcoin a bondi d’environ 8%.
Depuis ce printemps, Trump a radicalement changé son discours et ses actions. Il a promis de “faire de l’Amérique la capitale crypto de la planète”, abominé Jerome Powell, le président de la Fed aussi bien que Gary Gensler, à la tête de la banque centrale, et même ouvert sa propre entreprise dans le secteur. S’il est vrai que 40 millions d’Américains possèdent des crypto-actifs, ce revirement n’a pu que lui bénéficier, non seulement financièrement.
Dans les dernières semaines de campagne, alors que les sondages donnaient les candidats au coude à coude, la plupart des entrepreneurs américains sont venus baiser la babouche de l’ancien président. Jeff Bezos, propriétaire du Washington Post, s’est attiré de violentes critiques pour avoir bloqué la publication d’un éditorial de soutien à Kamala Harris.
Mais c’est sans conteste le créateur de Tesla et SpaceX qui a remporté la vedette. Le soutien public sans limite d’Elon Musk à Donald Trump n’a guère de précédent dans l’histoire des entrepreneurs américains, depuis les campagnes de Randolph Hearst, Henry Ford et Charles Lindbergh en faveur de Hitler et Mussolini dans les années 1930. Peut-être la suite des événements les avait-il rendus prudents, ainsi que la défaite en rase campagne de Ross Perot en 1992. Quoi qu’il en soit, Elon Musk semblait avoir une idée précise de son avenir : “Si Trump perd, je suis foutu” déclarait-il, hilare, le mois dernier.
“Si Trump perd, je suis foutu” • Elon Musk interviewé par Tucker Carlson
Cela ne semblait pas beaucoup l’inquiéter.
Il avait raison.
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