Dans un rapport publié la semaine dernière, le Microsoft Threat Analysis Center (MTAC) avertit que la Russie, la Chine et l’Iran ont intensifié leurs efforts pour interférer dans les élections présidentielles américaines de 2024 (lire Qant du 25 octobre). Ce rapport s’appuie sur des observations faites lors des élections de 2016 et 2020, où des tentatives similaires avaient déjà été constatées, mais souligne une sophistication accrue dans les méthodes employées cette année. En plein contexte de tensions géopolitiques mondiales, cette ingérence prend une ampleur nouvelle, avec pour objectif de diviser davantage l’électorat américain et de déstabiliser le processus démocratique.
Microsoft souligne notamment l’utilisation de l’intelligence artificielle, pour créer des contenus trompeurs visant des personnalités politiques américaines. Parmi les exemples cités dans le rapport, des vidéos truquées et d'autres contenus manipulés sont massivement diffusés sur les réseaux sociaux, créant un climat de méfiance autour des candidats et alimentant des discours polarisants. Ces contenus, parfois viraux, participent à amplifier les tensions au sein de l’opinion publique américaine.
La Russie vise particulièrement Kamala Harris
D’après les analyses de Microsoft, les acteurs russes concentrent leurs attaques sur la vice-présidente Kamala Harris, candidate démocrate à la présidence. Des vidéos truquées et des contenus générés par intelligence artificielle cherchent à discréditer Harris, avec des accusations et des scénarios inventés visant à entacher sa réputation. L’une des vidéos, largement relayée, montre par exemple un faux garde forestier accusant Harris d’avoir tué un rhinocéros en Zambie, une mise en scène qui a circulé sur les réseaux sociaux et a été amplifiée par des médias russes comme RT et Sputnik.
Cette campagne de désinformation, menée par un groupe surnommé Storm-1516, s’accompagne de nombreuses autres fausses informations visant également Tim Walz, le colistier de Harris. Ces manipulations sont conçues pour toucher une audience sensible aux contenus sensationnalistes, dans le but de polariser davantage les électeurs et de nuire aux perspectives des candidats démocrates.
Image d’un deepfake de la vice-présidente Kamala Harris créé par des acteurs d'influence russes • Source : Microsoft Threat Analysis Center
Son co-équipier Tim Waltz n’y échappe cependant pas. Le 16 octobre, le compte certifié de Matthew Metro sur X-Twitter a publié une vidéo rapidement devenue virale où cet ancien élève du candidat démocrate à la vice-présidence Tim Waltz l’accusait de harcèlement sexuel pendant son adolescence. Le Washington Post a depuis montré qu’il s’agissait d’un deepfake, nourri à partir du compte Facebook dormant du véritable Matthew Metro et des sources du renseignement américain ont indiqué à Fox News que des “acteurs d’influence russe” étaient à l’origine de l’opération.
Le deepfake de Matthew Metro accusant Tim Waltz d’attouchements pédophiles dans sa jeunesse • Source : Washington Post
La vidéo a été retirée, après avoir été vue 4,3 millions de fois. Le compte est toujours certifié par X-Twitter, dont le propriétaire Elon Musk, est devenu le premier soutien de Donald Trump. On peut s’attendre à une multiplication de “surprises” sur ce réseau d’ici au 5 novembre.
La Chine cible ses critiques
Contrairement à la Russie, la Chine adopte une approche plus focalisée sur les élections législatives et locales. Selon Microsoft, le groupe de désinformation chinois connu sous le nom de « Spamouflage » mène une campagne ciblée contre les candidats républicains ayant pris des positions fermes contre la Chine. Parmi les cibles figurent le représentant Barry Moore de l’Alabama, la sénatrice Marsha Blackburn du Tennessee ou le sénateur Marco Rubio de Floride – bien que son siège ne soit pas en jeu cette année –, en raison de leur virulence contre les intérêts chinois aux États-Unis.
Les campagnes de Spamouflage utilisent des faux comptes et des publications générées sur les réseaux sociaux pour dénigrer ces personnalités, les accusant de corruption ou promouvant des candidats opposés. Microsoft souligne que ces attaques font partie d'une stratégie plus large de Pékin visant à saper la confiance dans les représentants américains perçus comme hostiles aux intérêts chinois, particulièrement en matière de sécurité technologique et de commerce.
Tensions géopolitiques
L’Iran, de son côté, semble privilégier une stratégie mixte mêlant désinformation et cyberattaques. Des groupes iraniens surveillent de près les sites Internet liés aux élections américaines et les principaux médias, suggérant qu'ils pourraient se préparer à des actions plus directes à mesure que le jour du scrutin approche. Cette surveillance rappelle les tactiques employées par Téhéran lors de l’élection de 2020, où des acteurs iraniens avaient envoyé des emails tentant d'intimider les électeurs, en se faisant passer pour des membres de groupes d'extrême droite.
En parallèle, l'Iran utilise les tensions internationales, notamment le conflit entre Israël et le Hamas, pour influencer les électeurs américains. Par le biais de faux comptes sur les réseaux sociaux, notamment X-Twitter, des entités iraniennes encouragent les électeurs à s’abstenir de voter, arguant que les candidats soutiennent des politiques pro-israéliennes. Cette tactique semble avoir eu un certain succès chez les musulmans américains, notamment au Michigan.
Les hackers ciblent les élections américaines • Qant, M. de R. avec Midjourney
Journées critiques
Les autorités affirment que les infrastructures électorales sont suffisamment protégées contre les cyberattaques directes. Cependant, elles mettent en garde contre l’impact que ces campagnes de désinformation peuvent avoir sur l’opinion publique et sur la perception de l'intégrité du processus électoral.
Les experts de Microsoft ajoutent que les jours précédant et suivant immédiatement l’élection seront particulièrement critiques. Avec la possibilité de diffusion rapide de contenus manipulés, les électeurs, les candidats et les institutions sont appelés à rester vigilants. L’objectif de ces campagnes est souvent de semer la confusion et d’alimenter les doutes, même sans attaque directe sur les infrastructures de vote.
Contestations
En plus de saper la confiance dans le processus démocratique, ces campagnes d’influence étrangère tentent de maintenir un climat de méfiance et d'instabilité qui pourrait perdurer bien après le jour de l'élection. Les précédents de 2016 et 2020 montrent que les efforts de manipulation des opinions publiques par des acteurs étrangers ne s’arrêtent pas une fois le scrutin terminé, mais se prolongent afin d’entretenir une méfiance durable envers les institutions démocratiques américaines. La Russie et l’Iran pourraient ainsi chercher à inciter à des manifestations violentes aux États-Unis après le scrutin, notamment si les résultats sont contestés, en jouant sur les frustrations potentielles des électeurs face aux résultats.
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