L’autre retrait américain face aux Russes

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Outre l’arrêt de l’aide militaire à l’Ukraine, les États-Unis sont en train de suspendre en catimini leur engagement contre les offensives cybernétiques russes. La semaine dernière, le service français de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), a rappelé l’intensité croissante de la menace.

Vendredi dernier, l'US Cyber Command au Pentagone a reçu l’ordre de cesser toute planification opérationnelle contre la Russie, y compris les actes offensifs, comme la pénétration des réseaux. Ce n’est pas là un acte isolé. La Russie a disparu des nouvelles priorités de l'Agence pour la cybersécurité et la sécurité des infrastructures (Cisa : Cybersecurity and Infrastructure Security Agency), d’après Wired. Le magazine rappelle aussi que, la semaine dernière aux Nations unies, la secrétaire d'État adjointe à la cybersécurité des États-Unis a omis de mentionner la Russie parmi les sources d’attaques numériques, ne citant que la Chine et l'Iran.

Une menace persistante sur le territoire français

Or, depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie a mis en place un vaste dispositif de propagande destiné à façonner l’opinion publique internationale. Un rapport du service français de cybersécurité Viginum, également publié la semaine dernière, met en lumière la diversité des stratégies employées par la Russie pour manipuler l’opinion publique internationale et manipuler le discours sur la guerre en Ukraine.

Le soutien américain a jusqu’à présent souvent été déterminant dans la défense contre lces opérations. Le désengagement trumpien ouvre un nouveau front pour les Européens, moins meurtrier que l’Ukraine, mais qui demande un engagement immédiat

L’invasion de l’Ukraine par la Russie s’est accompagnée d’une intensification des campagnes d’influence russes cherchant à justifier « l’opération militaire spéciale » et à décrédibiliser le soutien occidental à Kiev. Ces opérations informationnelles mobilisent des réseaux de sites frauduleux, des avatars sur les réseaux sociaux et des médias alternatifs qui mettent en avant des récits prorusses. L’Union européenne a tenté de contrer cette influence et interdit la diffusion de médias d’État russes comme RT et Sputnik dès mars 2022. En réponse, de nouveaux modes opératoires informationnels (MOI) ont émergé, qui utilisent des tactiques plus discrètes pour manipuler l’opinion publique.

La France, cible privilégiée de ces campagnes en raison de son soutien à l’Ukraine, fait l’objet de campagnes de désinformation soutenues. L’un des MOI les plus notables est le réseau Reliable Recent News (RRN), actif depuis 2022, qui exploite plusieurs centaines de sites usurpant l’identité de médias et d’institutions françaises. Ces sites diffusent des articles biaisés, relayés par un réseau de comptes inauthentiques sur les plateformes sociales. Malgré la mise en lumière de ses activités et plusieurs actions de lutte, RRN demeure actif, et adapte ses méthodes pour éviter les restrictions des réseaux sociaux.

Le rôle des Américains

L’an dernier, le département de la Justice américain (DoJ) a déclaré publiquement que le RRN a été commandité et supervisé par Sergueï Kirienko, un haut responsable de l’Administration présidentielle russe. Il a été mis en œuvre par deux entreprises russes de marketing numérique, l’Agence de design social et Struktura, ainsi que par l’association ANO Dialog, chargée de la propagande à destination des audiences russes.

Un autre MOI, baptisé Matriochka – découvert par Viginum l’an dernier –, cible les médias et les fact-checkers et diffuse de faux contenus ayant pour but de discréditer les enquêtes journalistiques. En interpellant directement des journalistes et en diffusant des montages, il usurpe l’identité de personnalités médiatiques, cette stratégie vise à saturer l’espace informationnel et à fragiliser les mécanismes de vérification des faits.

Contournement des sanctions en Europe

Face aux restrictions européennes, la Russie a mis en place des médias de substitution comme Voice of Europe et Euromore. Ces plateformes, financées par des entités proches du Kremlin, tentent d'influencer l’opinion publique européenne et promeuvent des figures politiques prorusses. Elles servent également d’outils de contact et de recrutement pour des personnalités politiques occidentales favorables à un arrêt du soutien à l’Ukraine. Malgré la suspension de Voice of Europe en mai 2024, d’autres initiatives similaires continuent de diffuser des récits prorusses.

Par ailleurs, la Russie a orchestré des opérations de désinformation impliquant de fausses manifestations anti-ukrainiennes dans plusieurs capitales européennes. Ces mises en scène, relayées sur les réseaux sociaux, s'emploient à maintenir une perception négative du soutien occidental à l’Ukraine et à susciter des tensions politiques internes dans les pays concernés.

La guerre de l’information sur le terrain ukrainien

En Ukraine et dans les territoires occupés, la Russie déploie des efforts considérables pour légitimer son occupation et miner la confiance envers le gouvernement ukrainien. Le réseau Portal Kombat, actif depuis 2023, gère plus de 200 sites qui diffusent des contenus prorusses.

Villes ukrainiennes ciblées par des sites du MOI • Source : Viginum

Mriya, un autre média prorusse, est quant à lui lié à un projet politique séparatiste en Ukraine. Ce média diffusait des contenus trompeurs ayant pour objectif de promouvoir un « plan de paix » favorable à Moscou et à encourager des référendums d’autonomie. L’implication de personnalités prorusses et leur tentative de légitimation auprès de parlementaires européens témoignent de la complexité des opérations de désinformation orchestrées par la Russie.

Une influence croissante en Afrique

L’Afrique constitue un autre terrain stratégique pour les opérations informationnelles russes. En exploitant des récits anti-occidentaux, la Russie cherche à renforcer son influence sur le continent, notamment grâce à des acteurs comme le groupe Wagner. Le projet Lakhta, structure de propagande active depuis 2013, a mené plusieurs campagnes cherchant à discréditer la France et l’Ukraine. Parmi elles, une opération diffusant de fausses informations sur un prétendu envoi de citoyens africains sur le front ukrainien a circulé sur les réseaux sociaux et des médias africains entre avril 2024 et février 2025.

Cette campagne s’appuyait sur de faux comptes, des fausses annonces de recrutement et des vidéos truquées pour alimenter une perception de menace occidentale. Malgré une audience limitée, ces manipulations s'attachent à nourrir la méfiance à l’égard de l’Ukraine et de ses alliés, tout en légitimant les actions de la Russie sur le continent africain.

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