La tache aveugle de la presse face à l’IA

Comment la presse parle de l’IA • Qant, M. de R. avec Midjourney

Le traitement de l’IA évolue fortement dans la presse mondiale, selon son pays d’origine et son orientation politique. Mais un grand problème est absent partout : l’impact environnemental de l’IA.

Une étude récente menée par des chercheurs de l’université Northwestern et de l’Institut du droit de l’information d’Amsterdam a analysé 42 000 articles de presse publiés dans 27 pays pour identifier les principales préoccupations liées à l’IA. L’étude classe ces risques en six grandes catégories : sociétaux, juridiques et relatifs aux droits, cognitifs, liés à la sécurité des contenus, existentiels et environnementaux.

Chouchou des médias

Les risques sociétaux dominent largement le traitement médiatique, représentant plus de la moitié des articles étudiés. Parmi eux, les plus cités concernent l’impact de l’IA sur l’emploi, avec des inquiétudes sur l’automatisation et la suppression de postes dans divers secteurs, ainsi que sur la désinformation et l’influence des algorithmes sur les opinions publiques. Viennent ensuite les risques juridiques et relatifs aux droits fondamentaux, notamment les questions de discrimination algorithmique et de respect de la vie privée.

Les risques existentiels, qui incluent les scénarios de perte de contrôle des IA avancées, occupent une place plus réduite mais sont davantage relayés dans les médias nord-américains et asiatiques.

Enfin, les risques environnementaux, liés à la consommation énergétique des infrastructures d’IA, sont nettement sous-représentés dans la couverture médiatique, malgré la pression croissante des chercheurs sur ces questions.

Un traitement médiatique influencé par les contextes régionaux

L’étude met en évidence des disparités géographiques dans la manière dont ces risques sont couverts. En Amérique du Nord, le débat est fortement politisé : les médias classés à gauche insistent sur les risques liés aux biais algorithmiques et à la protection des données, tandis que ceux de droite évoquent davantage les dangers liés à une éventuelle perte de contrôle des IA.

En Europe, l’accent est mis sur la régulation et les droits fondamentaux, notamment sur la nécessité d’encadrer l’usage de l’IA dans les décisions administratives et commerciales. Le Règlement européen sur l’IA, entré en vigueur ce dimanche, y est fréquemment mentionné comme un levier pour limiter les dérives des modèles automatisés.

En Asie, où l’IA est perçue comme un atout stratégique, les médias insistent davantage sur la sécurisation des infrastructures numériques et la lutte contre la désinformation. En Afrique et en Amérique latine, l’accent est mis sur l’impact économique de l’IA et ses implications pour le développement des industries locales.

L’Océanie, enfin, affiche une approche plus équilibrée, avec une couverture qui aborde à la fois les opportunités économiques et les défis liés à la gouvernance de l’IA.

L’influence des orientations politiques des médias

L’étude révèle également que l’orientation des médias influence le cadrage des risques liés à l’IA. Les journaux orientés à gauche mettent en avant les impacts sociaux, notamment les discriminations algorithmiques et les atteintes à la vie privée. À l’inverse, les médias de droite sont plus enclins à aborder les scénarios de prise de contrôle de l’IA sur les décisions humaines et les enjeux stratégiques liés à la souveraineté technologique.

Une autre différence notable réside dans le niveau de précision des risques évoqués. Les médias généralistes privilégient un traitement plus alarmiste, avec des formules vagues et des projections spéculatives sur l’avenir de l’IA. À l’inverse, les médias spécialisés en technologie ou en économie adoptent une approche plus analytique, s’appuyant sur des rapports de recherche et des études d’impact pour détailler les conséquences potentielles des algorithmes.

Un impact sur la régulation et les politiques publiques

Les conclusions de cette étude ont des implications directes pour la régulation de l’IA. En influençant l’opinion publique, les médias orientent les priorités politiques et la mise en place de cadres législatifs. En Europe, la forte médiatisation des enjeux liés aux droits fondamentaux et à la transparence algorithmique a contribué à accélérer la mise en place de réglementations comme l’AI Act.

En revanche, l’absence de débat sur les questions environnementales pourrait freiner la mise en place de restrictions sur la consommation énergétique des modèles d’IA.

Selon les chercheurs, qui n’incluent pas les réseaux sociaux dans leur enquête, cette hiérarchisation des risques dans le discours médiatique risque d’entraîner des politiques déséquilibrées, où certaines préoccupations sont amplifiées, tandis que d’autres restent marginales.

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