Ce soir, la filiale française d’OpenAI fête son ouverture, sous l’égide de Clara Chappaz, secrétaire d’État chargée de l'Intelligence artificielle et du Numérique. Et cette nuit, sa maison-mère californienne a présenté à Washington un ambitieux “Pacte nord-américain pour l’IA”, un schéma directeur pour développer l’infrastructure électrique et les datacenters aux États-Unis. Le document prévoit d’étendre le pacte à l’international, pour constituer une “alliance de l’IA” autour des États-Unis.
Grands travaux
La Chine a mis en service 20 réacteurs nucléaires au cours des deux dernières années et “autant de puissance électrique nucléaire en dix ans que les États-Unis en quarante” constate OpenAI, citée par CNBC. Elle recommande de tirer parti de l'expertise de la Marine américaine, qui a déployé une centaine de petits réacteurs modulaires dans ses sous-marins, pour multiplier les petites installations nucléaires civiles.
Au total, OpenAI propose une initiative fédérale aussi ambitieuse que la création des autoroutes à partir de 1956, mais visant cette fois à moderniser les réseaux d’énergie et de fibre optique pour répondre à la demande croissante en infrastructures pour l’IA. Elle suggère de nouvelles mesures pour encourager les investissements privés, comme des garanties d'achat d'énergie de la part du gouvernement pour réduire les risques financiers des projets de grande envergure.
L’entreprise insiste sur la nécessité de mettre en place un cadre juridique et des financements adaptés pour accélérer le développement de ces infrastructures essentielles. Actuellement, les processus de planification et d’autorisation peinent à suivre le rythme de croissance du secteur de l’IA, et OpenAI voit dans les partenariats public-privé une façon de remédier aux goulets d’étranglement actuels.
Clin d’œil
Dans ce cadre, OpenAI envisage de concentrer l’implantation de centres de données et d'infrastructures énergétiques dans des régions comme le Midwest et le Sud-Ouest des États-Unis, qui disposent de vastes espaces et de conditions favorables pour les énergies renouvelables. L’entreprise propose la création de zones économiques spéciales pour l’IA, co-gérées par les autorités locales et fédérales, offrant des incitations pour accélérer les autorisations et les permis.
Ce faisant, elle cligne fortement de l’œil en direction d’États très républicains, qui pourraient bénéficier d’une manne d’argent. Le reste du programme d’OpenAI, cependant, n’est guère Maga : ces zones pourraient être alimentées par des nouvelles installations solaires et éoliennes, ainsi que par des réacteurs nucléaires. Pas de quoi faire rêver une administration dont le premier contributeur financier a été l’industrie pétrolière (suivie de près par les cryptos).
Aménagement du territoire
En outre, les États participants seraient encouragés à réserver une partie de leurs nouvelles capacités informatiques pour leurs universités publiques, afin de créer des pôles de recherche en IA adaptés aux besoins économiques locaux. Par exemple, des centres de recherche en IA agricole pourraient voir le jour dans des États comme le Kansas et l’Iowa, riches en données agricoles, pour développer des modèles d’IA spécialisés.
Presque une vision française de l’aménagement du territoire par l’intelligence artificielle. Paris pourrait peut-être s’en inspirer mais à Washington, OpenAI a désormais un ennemi dans la place.
Un parfum de Musk
Outre sa nomination comme coprésident d’un département fédéral de l’Efficacité de l’État, chargé de couper 2 000 milliards de dollars (1 960 Md€) dans les dépenses publiques, Elon Musk a lancé une campagne de lobbying pour être nommé conseiller à l’IA de la future présidence Trump. Chez OpenAI, on ne peut voir d’un bon œil l’ascension de son ancien cofondateur, qui a déjà tenté de lui faire un procès (lire Qant du 4 mars) et lancé un rival, xAI, moins avancé mais très bien financé (lire Qant du 27 mai).
Il est donc temps de sortir du bois, pour une entreprise passée maître en communication. En plus de ce schéma directeur pour l’IA aux États-Unis, qui succède à sa volonté de lever jusqu’à 7 000 milliards de dollars ((lire Qant du 12 février), Sam Altman multiplie de nouveau les déclarations sur l’intelligence artificielle générale (voir par exemple vidéo ci-dessus). Rien de bien nouveau mais, avant l’AGI, dès janvier prochain si tout va bien, OpenAI devrait lancer des agents d’IA et un nouveau modèle, répondant respectivement aux noms de code de “Operator” et “Orion”. Et c’est là que le bât blesse.
Des agents en catimini
« Nous aurons des modèles de plus en plus performants », écrivait il y a deux semaines Sam Altman dans un entretien libre (“Ask me anything”, AMA) sur le réseau social Reddit , « mais je pense que ce qui donnera l'impression d'être la prochaine grande avancée, ce sont les agents.» OpenAI en prépare plusieurs, sous le nom de code d’Operator, notamment capables d’écrire du code informatique. D’après Bloomberg, le plus avancé est un outil polyvalent qui exécute des tâches dans un navigateur web, qui pourrait être lancé dès janvier prochain, via l’API d’OpenAI.
Operator ne bénéficiera pas de l’effet de surprise. Microsoft et Salesforce ont présenté des agents d’automatisation dès le mois de septembre. Plus avancé, l’agent Computer Use, d’Anthropic, est capable de comprendre l’écran regardé par l’utilisateur et, avec sa permission, d’agir pour son compte en remplissant des formulaires, naviguant sur le Web, lançant des applications... Jarvis, de Google, devrait être présenté avant la fin de l’année, en même temps que Gemini 2.
Il y a deux ans, OpenAI a pris le monde par surprise en lançant ChatGPT. Pour les agents d’IA, la voici cinquième dans la course.
La constellation qui clignotait
Pour reprendre la main et rassurer ceux qui s’inquiètent de la fin de son avance technologique après le départ d’Ilya Sutskever, Mira Murati et d’un nombre important de ses chercheurs (lire Qant du 15 mai), OpenAI devait présenter un nouveau modèle qui représente un bond en avant, comme GPT-4 au printemps de l’an dernier (lire Qant du 10 mars 2023).
Ce devait être le rôle d’Orion/GPT-5, censé être 100 fois plus performant que GPT-4 et présenté, d’après certains, à une date proche du deuxième anniversaire de ChatGPT. Cependant, Orion n’a pas atteint pour l’heure les performances espérées, notamment en programmation, ce qui remet en question son lancement imminent. Les concurrents d’OpenAI, Google et Anthropic, ont eux aussi rencontré des obstacles importants pour leurs futurs grands modèles, notamment en raison de la difficulté à trouver des données de qualité, rappelle Bloomberg. Google serait même en train de pivoter vers un modèle de raisonnement, avec des prompts chain-of-thought masqués, comme le modèle o1 d’OpenAI.
L’AGI en douceur
Ces difficultés pourront, si elles perdurent, remettre en question le projet même d’intelligence artificielle générale, au cœur de la mission initiale d’OpenAI. Le chercheur de NYU Gary Marcus soutient, depuis plusieurs mois, que les LLM ont atteint un plafond avec GPT-4, sur lequel s’alignent progressivement tous les autres grands modèles.
Tout comme son concurrent Dario Amodei, à la tête d’Anthropic, Sam Altman continue de considérer que l’IA atteindra rapidement, d’ici “quelques milliers de jours” – une durée précisée ensuite entre un et cinq ans –, le niveau d’intelligence générale (AGI), comparable à un être humain. Les avancées actuelles d'OpenAI, notamment le modèle o1, qui offre une capacité de raisonnement accrue, rapprochent l'entreprise de cet objectif.
À long terme, l’AGI transformera en profondeur des secteurs comme la recherche scientifique, la médecine et l'éducation, mais Sam Altman prévoit que ces changements s’échelonneront sur plusieurs années. Contrairement aux bouleversements radicaux souvent évoqués, l’intégration de l’AGI devrait être progressive et ses effets ressentis de manière plus subtile au quotidien. L'AGI s'insérera progressivement dans nos vies, modifiant certains aspects de la société sans provoquer de ruptures soudaines.
Mais même si cela ne devait pas être le cas, il restera à OpenAI un atout de taille : sa marque grand public. Exploiter ChatGPT et même, désormais, Chat.com, mérite bien de transformer une fondation de recherche en société commerciale.
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