Qant. Mettons de côté l’emballement pour l’IA générative. Les grandes entreprises, financières ou non, s’intéressent à l’IA depuis plus de trente ans. Avec le deep learning, on a cependant l’impression d’avoir atteint un point d’inflexion…
Guillaume Lesage. Oui, absolument. Pour la première fois depuis trente ans, il se passe quelque chose de vraiment sérieux. C’est le résultat de trois facteurs : les réseaux de neurones, en effet, mais aussi la puissance de calcul et la structure du marché. Pour la première fois depuis l’apparition de l’IA, l’amélioration des GPU de Nvidia permet à la puissance machine d’être au rendez-vous de la technologie. Ce n’a jamais été le cas jusqu’à présent. Et la force combinée de Microsoft et OpenAI a permis un déploiement ultrarapide, lui aussi sans précédent.
Qant. Quel effet cela va-t-il avoir sur la finance en général, et l’asset management en particulier ? Certains parlent déjà de nouvelles classes d’actifs définies par l’IA mais, dans l’immédiat, c’est surtout le contact avec le client qui semble concerné…
Guillaume Lesage. C’est un processus continu et déjà bien connu. La finance, comme bien des secteurs dans les services, a longtemps vu certaines fonctions réaliser des tâches extrêmement répétitives : la saisie d’ordres, par exemple. Ces métiers-là ont été automatisés bien avant l’intelligence artificielle. L’IA générative va prendre la relève du numérique, qui lui-même succédait à l’informatique. L’industrie financière devrait ainsi pouvoir bénéficier d’une forte augmentation de la productivité dans des métiers comme la conformité, le marketing opérationnel, la relation client. Mais pour les métiers les plus sophistiqués, comme de définir la politique d’investissement d’un fonds ou sa stratégie marketing, il est difficile à ce stade d’imaginer une quelconque automatisation.
Qant. Concrètement, quels cas d’usage voyez-vous se dessiner ?
Guillaume Lesage. Nous venons de lancer nos premiers cas d’usage en production, il faut donc attendre pour avoir du recul, mais les potentialités sont claires. Parmi les solutions qui passent en production, nous avons conçu un système qui permet de s’assurer qu’un document commercial est bien en adéquation avec les règles de conformité et le prospectus du fonds visé par l’AMF. L’IA va ainsi s’appuyer sur le prospectus, qui peut atteindre 900 pages et suggérer de nouvelles formulations commerciales, mieux hiérarchiser l’information… Les résultats sont impressionnants.
Qant. Un humain reste donc dans la boucle. Les Américains en ont même fait un acronyme: HITL (Human in the loop). Est-ce systématiquement le cas chez vous ?
Guillaume Lesage. Toujours. Qu’il s’agisse de traduire des documents ou de préparer des brouillons d’argumentaires, par exemple, l’IA ne génère qu’un travail de préparation qui doit toujours être repris par quelqu’un. Cela tombe sous le sens : il doit toujours y avoir un responsable du travail effectué. L’IA peut préparer mais l’humain décide !
Qant. Quelles solutions techniques avez-vous choisies ?
Guillaume Lesage. Notre stratégie chez Amundi Technology est de s’appuyer au maximum sur des outils open source, mais il faut être pragmatiques. OpenAI et Microsoft ont pris une avance considérable... Nous avons donc acheté une licence qui nous permet d’exécuter des recherches génératives aussi bien sur notre fonds documentaire (en RAG, donc) que sur le Web, évidemment sans aucun compromis sur nos propres données et avec une sécurité totale. Et nous avons également lancé la plate-forme Alto Studio.
Qant. De quoi s’agit-il ?
Guillaume Lesage. Les plates-formes Alto sont des outils de gestion financière et de données que nous proposons à d’autres gérants d’actifs aussi bien que des banques, des gestionnaires de patrimoine, des conservateurs de titres… Parmi elles, Alto Studio réunit IA générative et data science. Elle permet donc de mettre en place une réelle gouvernance de l’IA et des données. Elle s’ajoute aux plates-formes existantes, qui couvrent l’investissement, la soutenabilité, le patrimoine, l’épargne salariale, la retraite…
Qant. Amundi Technology est-il à Amundi ce qu’AWS est à Amazon ?
Guillaume Lesage. N’exagérons rien. C’est une activité récente, que nous avons lancée en 2021. Mais en trois ans simplement, nous avons déjà 60 clients dans 15 pays, une offre complète, 1000 collaborateurs dans 19 implantations… Le besoin du marché est réel et le potentiel de développement est donc important.
Qant. Vous vous retrouvez donc en face d’Aladdin de Blackrock ou de l’alliance State Street-Charles River…
Guillaume Lesage. Nous sommes en fait à la croisée de trois marchés. Les solutions de gestion de l’épargne, que vous citez, mais aussi les plates-formes qui prêtent des services pour la gestion des données (comme Allfunds, Clearstream, Euroclear ou Fund Channel, filiale d’Amundi et de Caceis) et enfin les fournisseurs de données eux-mêmes : Bloomberg, Refinitiv, Reuters.
Qant. Pour conclure d’un mot, quel sera l’effet de l’IA sur le marché de l’asset management?
Guillaume Lesage. Dans tous les cas, l’IA donne de la valeur aux données : or, plus on est grand, plus on a de données à valoriser. Il restera toujours des acteurs de niche, très spécialisés dans certains domaines ou certains types de gestion. Mais depuis plusieurs années déjà, avant même l’IA, les gérants de taille moyenne ont rencontré des challenges de plus en plus importants. L’impact de la réglementation engendre des coûts additionnels alors qu’ils doivent consentir des investissements technologiques de plus en plus lourds. Ce contexte favorise la concentration du marché, ce qui nous a permis de faire d’Amundi le premier gérant d’actifs européen et de nous inscrire parmi les 10 premiers mondiaux et un acteur incontournable de technologie pour le monde de l’épargne.
Propos recueillis par Jean Rognetta