Le début d’année a été marqué par une forte volatilité sur le marché des entreprises spécialisées en informatique quantique. Les actions des sociétés cotées à New York, comme IonQ, Rigetti Computing et D-Wave, ont enregistré une baisse significative après les déclarations du CEO de Nvidia, Jensen Huang. Au CES 2025, il a estimé que des ordinateurs quantiques véritablement utiles ne verraient pas le jour avant une vingtaine d’années. Ce scepticisme a provoqué une réaction immédiate des investisseurs, qui ont effacé les gains de la fin de l'année 2024.
Volatilité boursière ; incertitudes technologiques
Ce scepticisme a provoqué une réaction immédiate des investisseurs, qui ont effacé les gains de la fin 2024. En décembre, Google avait soulevé l’enthousiasme en présentant la puce quantique Willow, qui utilise un code de surface pour corriger les erreurs en répartissant un qubit logique sur plusieurs qubits physiques. Cela réduit les erreurs dues aux perturbations environnementales et, surtout, l’augmentation du nombre de qubits logiques diminue le taux d’erreur. Il est donc possible d’augmenter le nombre de qubits en restant sous le seuil où le bruit des erreurs cumulées devient ingérable.
Cette volatilité marque une grande incertitude sur l’horizon temporel des investissements, massifs, que l’on consent au quantique. Une enquête de Nature et le Quantum Computing Report de Global Quantum Intelligence permettent de dégager les grandes tendances.
Des technologies concurrentes sans leader incontesté
Le développement des ordinateurs quantiques repose sur plusieurs approches technologiques, sans qu’aucune ne se soit encore imposée comme la référence. IBM, Google et Rigetti Computing misent sur les circuits supraconducteurs, une technologie qui exploite des boucles de courant à très basse température. La start-up française Alice&Bob, spécialisée dans les circuits supraconducteurs, innove avec ses "qubits de chat", qui sont intrinsèquement robustes face à certaines erreurs, réduisant ainsi les besoins en correction d’erreurs. De leur côté, IonQ et Quantinuum développent des systèmes à base d’ions piégés, tandis que Xanadu, PsiQuantum et la française Quandela explorent l’optique quantique en utilisant des photons. Microsoft, quant à lui, investit dans les qubits topologiques, une technologie encore expérimentale qui pourrait offrir une meilleure stabilité.
Pasqal, une autre start-up française, se distingue par son utilisation des atomes neutres, refroidis et manipulés par des lasers pour former des qubits. Cette technologie promet une grande évolutivité grâce à la possibilité de disposer les atomes en réseaux denses et précis. En janvier, la start-up parisienne Alice&Bob a levé 100 millions d'euros pour sa technologie de qubits "Cat", qui suppriment naturellement les erreurs d’inversion de bit, l’un des deux principaux types d’erreurs quantiques. Cela réduit le besoin d’utiliser des qubits supplémentaires pour corriger ces erreurs, permettant de se concentrer uniquement sur les erreurs d’inversion de phase.
Chaque approche présente des avantages et des inconvénients. Les circuits supraconducteurs sont les plus avancés en termes de développement industriel, mais ils nécessitent des infrastructures complexes pour être refroidis à des températures extrêmement basses. Les systèmes à ions piégés offrent une plus grande cohérence quantique, mais ils posent des défis en termes d’intégration à grande échelle. Les qubits photoniques permettent un fonctionnement à température ambiante, mais leur interconnexion est encore problématique.
En outre, toutes ces technologies se heurtent au même défi : l’augmentation du nombre de qubits tout en maintenant leur fiabilité. Aujourd’hui, les machines les plus avancées disposent de quelques milliers de qubits, mais les experts estiment qu’un million de qubits sera nécessaire pour réaliser des calculs véritablement exploitables.
Une adoption encore limitée dans les entreprises
Si les progrès scientifiques sont indéniables, l’intégration de l’informatique quantique dans l’industrie reste limitée. Un sondage de QuEra Computing mené auprès de 770 experts révèle que 65 % des organisations se disent prêtes à adopter cette technologie d’ici trois ans. Toutefois, cette perception provient principalement de chercheurs et d’entreprises du secteur, alors que les utilisateurs finaux se montrent plus prudents.
Les principaux obstacles identifiés sont le coût élevé des infrastructures, le manque de professionnels formés et l’incertitude sur la rentabilité des applications quantiques. Actuellement, seules quelques entreprises utilisent cette technologie de manière opérationnelle. Une étude de Global Quantum Intelligence recensant 177 cas d’usage a révélé que seulement six applications étaient effectivement déployées, ce qui montre que l’informatique quantique en est encore à un stade exploratoire.
Les grandes entreprises du numérique, comme IBM et Google, proposent des plateformes d’accès à distance pour expérimenter des algorithmes quantiques. Toutefois, ces services sont principalement destinés à la recherche et au développement, et non à des applications commerciales immédiates.
Des investissements en hausse, mais un retour sur investissement incertain
Malgré les incertitudes, l’informatique quantique continue d’attirer des investissements importants. Après une baisse en 2023, les financements privés et publics sont repartis à la hausse en 2024. Ils ont atteint des niveaux comparables à ceux de 2022, où plus de 2,35 milliards de dollars avaient été investis dans le secteur.
L’Union européenne poursuit ses efforts avec le programme Quantum Flagship, doté d’un budget d’un milliard d’euros sur dix ans. Le programme EuroHPC contribue également, mais les États-Unis dépassent le Vieux Continent même si l’on s’en tient au seul investissement public. Suivant le National Quantum Initiative Act de 2018, plusieurs agences fédérales ont investi au total 1,275 milliard de 2020 à 2024. La somme a été augmentée à 1,8 milliard de 2025 à 2029 et 2,7 milliards pendant le quinquennat suivant. S’y ajoutent les investissements privés, traditionnellement le point fort américain. Ils se sont cependant réduits de plus de moitié depuis leur pic de 2021, tombant de 2,4 milliards de dollars à environ 1 milliard estimé pour l’an dernier. Quant à la Chine, qui avait suscité l’émotion en prévoyant d’investir 15 milliards de dollars américains dans le quantique en 2022, l’opacité prévaut - ce qui permet aux Américains d’agiter l’épouvantail d’un retard possible.
Dans le secteur privé, des entreprises comme IBM et Google continuent d’investir significativement, tandis que de nouvelles startups émergent, cherchant à se positionner sur des segments spécifiques du marché. Cependant, en l’absence de modèles économiques clairs, le retour sur investissement reste incertain.
Le chatGPT de Schrödinger
Certains experts comparent la situation actuelle de l’informatique quantique à celle de l’intelligence artificielle avant l’émergence des modèles de langage avancés en 2022. À l’époque, peu anticipaient que l’IA générative connaîtrait une adoption massive si rapide. L’informatique quantique pourrait-elle connaître un tournant similaire ?
Plusieurs développements récents laissent entrevoir des avancées notables. IBM a présenté en 2024 un processeur quantique de 1 121 qubits, une nouvelle étape vers des machines plus puissantes. Google continue d’améliorer la correction d’erreurs, un élément essentiel pour la fiabilité des calculs quantiques.
Cependant, comme le rappelait en début de semaine Olivier Ezratty, la majorité des chercheurs s’accorde sur le fait que l’informatique quantique nécessitera encore “une quinzaine d’années” avant de produire des résultats concrets à grande échelle.
Sans préciser la date où débute le compte à rebours.
Pour en savoir plus :