Dans les jours qui viennent, le très symbolique prix de l’iPhone devrait passer au-dessus des 1 000 dollars aux États-Unis, annonçait ce week-end l’agence Bloomberg. Le Wall Street Journal calcule pour sa part que les tarifs trumpiens augmentent le coût de fabrication d’un iPhone 16 Pro de 54 %, et que relocaliser la production décuplera les coûts de main-d’œuvre. Apple se trouve donc réduite à augmenter ses prix tout en diminuant quand même ses marges et, probablement, ses ventes aussi.
Tech de luxe
Rien n’indique, à ce stade, que la firme à la Pomme bénéficiera du même traitement de faveur que pendant la première administration Trump. Au contraire, frappée par les rétorsions chinoises et, sauf extraordinaire, européennes, la première entreprise américaine ne pourra pas utiliser l’international pour tirer son épingle du jeu.
Il lui reste à miser sur le fait que ses produits relèvent autant du luxe que de l’innovation. La demande pour les iPhones ne se révélera sans doute pas aussi insensible au prix que celle pour les Ferrari. Mais sa faible élasticité au prix, qui a permis à Apple d’extraire 50 % de marge jusqu’à présent, protègera en partie le constructeur.
Nvidia et Tesla pourront peut-être bénéficier aussi, dans diverses mesures, d’un tel phénomène, d’autant que les semi-conducteurs ont été exemptés de tarifs. Peut-être les fournisseurs de services comme Microsoft, Meta ou Google souffriront-ils moins directement des tarifs douaniers que les constructeurs. Mais ce sont là des considérations marginales face à une réalité brutale. La tech américaine est logée à la même enseigne que le reste de l’agriculture et de l’industrie américaine : l’augmentation brutale des prix de revient risque d’enclencher une spirale inflationniste tout en contractant brutalement la demande intérieure.
Tech et stagflation
L’Occident a vécu une période de stagnation et d’inflation – la stagflation – après le choc pétrolier de 1973. Il a fallu, à l’époque, plusieurs années pour que les chaînes logistiques et de production ne se rééquilibrent. On ne voit guère de raison pour qu’il en aille autrement un demi-siècle plus tard. Cette fois, le rééquilibrage se fera sans doute en faveur de la Chine. « La guerre commerciale mondiale de Trump est un cadeau stratégique au président chinois », résume le WSJ.
Même un revirement subit du lunatique Donald Trump ne réparera pas l’incertitude dans laquelle il a plongé la semaine dernière les entreprises américaines – pas plus que les protestations du secrétaire d’État Marco Rubio sur la volonté des États-Unis de rester dans l’Otan ne peuvent restaurer la confiance envolée dans la protection américaine, alors qu’une invasion militaire du Groenland semble de plus en plus probable
Maintenant ou jamais
L’Europe a pourtant une carte à jouer, et non des moindres. Elle semble pour l’heure s’orienter vers des négociations avec son harceleur, en ne menaçant de frapper que des entreprises emblématiques : Tesla et Harley Davidson, X et Jack Daniel’s... Des voix s’élèvent pour qu’elle reconstruise des zones de libre-échange, marginalisant les États-Unis – à l’instar de ce qui commence à se passer dans l’Otan.
L’occasion est belle de reconstruire une industrie européenne de la tech. D’Orban à Meloni, les soutiens de Trump ne sont pas plus en position de s’opposer à une politique industrielle sur la tech qu’ils ne peuvent freiner le réarmement européen. Or, réarmement et tech vont de pair, qu’il s’agisse d’intelligence artificielle ou de photolithographie. Les mânes de Nokia et d’Alcatel ne sont pas si loin pour que l’Europe ne puisse faire levier sur Mistral et ASML.
Prise de bec
En outre, la stagflation met une banque centrale face à un dilemme insoluble : la récession s’aggrave si elle augmente les taux d’intérêt pour combattre l’inflation, et inversement l’inflation s’envole si elle tente d’atténuer la contraction économique.
Vendredi, quand Donald Trump a mis la Fed en demeure de baisser les taux d’intérêt, Jerome Powell a promptement refusé. Les marchés des futures prévoient cependant que la banque centrale pliera devant la Maison-Blanche.
Deux courants idéologiques s’affrontent. Stephen Miran, qui soutient qu’un dollar fort peut atténuer les effets des tarifs douaniers, a été nommé à la tête du Council of Economic Advisers à la Maison-Blanche. Il semble cependant marginalisé par le vice-président JD Vance et l’ancien représentant au Commerce Robert Lighthizer. Ceux-ci estiment que le dollar est surévalué à cause de son statut de monnaie de réserve et poussent à le dévaluer.
Valeurs refuge
Après le 2 avril, les cours de l’or et celui du bitcoin se sont envolés mais celui du dollar, traditionnellement une valeur refuge en cas de crise, a continué de baisser. Depuis le début de l’année, il a perdu 8% face au yen et 6 % face à l’euro et au franc suisse. Dans les faits, cela amplifie l’effet des tarifs douaniers, en renchérissant les importations. Au lieu d’améliorer la compétitivité américaine, cela aggrave le choc.
L’or et le bitcoin ont ensuite légèrement reculé, sans doute parce que, confrontés au décrochage des marchés, les investisseurs ont dû faire face à des appels de marge et vendu leurs meilleurs actifs. Mais le bitcoin apparaît bien, aujourd’hui, plus attractif pour les investisseurs que le dollar. Si la Fed plie face à Donald Trump, le phénomène ne pourra que s’amplifier.
« La finance décentralisée est une innovation extraordinaire. Elle rend les marchés plus rapides, moins chers et plus transparents. Pourtant, cette même innovation pourrait miner l'avantage économique de l'Amérique si les investisseurs commencent à considérer le bitcoin comme un pari plus sûr que le dollar » analysait, le jour avant le début de la crise, Larry Fink, CEO du plus grand investisseur au monde, Blackrock.
Houle croisée
En réduisant les importations américaines, on diminue mécaniquement la quantité de dollars détenue par le reste du monde – qui se trouve être une importante source de financement de la dette publique américaine, car les exportateurs conservent volontiers leurs dollars.
Le dollar se trouve donc balayé de tous côtés. En interne, cela a de quoi rendre le bitcoin alléchant, et même le WLFI et le $Trump : en en achetant, on peut toujours espérer attendrir le caudillo de Washington et obtenir une dérogation – Justin Sun, premier investisseur dans le jeton de WLF, la crypto de la famille Trump, réclame maintenant un pardon présidentiel sur ses procès.
À l’international, cela pose une tout autre question : celle de la souveraineté monétaire européenne et de l’avenir du système financier international. Après l’Otan et l’OMS, Trump s’attaque en réalité à Bretton Woods.
J.R.