Qant. Comment les banques peuvent-elles faire face aux nouvelles menaces de fraude ?
Luis Junes. En ce moment, le sujet majeur, notamment auprès de nos clients en Angleterre, est celui des escroqueries. Les fraudeurs migrent vers ce qu’ils identifient comme le maillon faible, c’est-à-dire le particulier, qu’ils manipulent pour autoriser un paiement. C’est le phénomène de « fraude autorisée » ou « authorized push payment ». Les types d’escroquerie sont nombreux : arnaque à l’emploi, au sentiment, au faux conseiller bancaire… Face à cette menace, l’intelligence artificielle et le machine learning peuvent jouer un rôle important afin de mieux analyser les signaux faibles lors d’une transaction pour alerter la banque et la potentielle victime.
Au Royaume-Uni, la plupart des banques disposent déjà des solutions de biométrie comportementale pour lutter contre l’usurpation d’identité. Il s’agit de modéliser le comportement de l’individu, par exemple la manière dont l’utilisateur interagit avec son téléphone portable. Nous traitons également les données transactionnelles, que nous envoient les banques britanniques. Elles sont beaucoup mieux équipées qu’en Europe continentale.
Qant. La DSP3 est attendue au premier semestre de l’année prochaine. Peut-on espérer une amélioration ?
Luis Junes. Oui. Sur les sujets des escroqueries, l’article 59 de la Payment Services Regulation (PSR) propose le remboursement des victimes dans le cas d’une arnaque au faux conseiller bancaire. C’est un premier pas en Europe, contrairement au Royaume-Uni où les banques doivent rembourser les victimes dans quasiment tous les cas de fraude. L’Europe n’ira sans doute pas jusque-là, mais nous observons de près les prochaines mises à jour de cette norme, car cela aura clairement un impact sur la manière dont les banques vont appréhender la fraude.
Qant. Quelles sont les perspectives d’évolution de la criminalité ?
Luis Junes. Un facteur déclencheur, qui doit accélérer la prise de décision des banques, c’est l’arrivée en masse des paiements instantanés à partir de l’année prochaine, en raison de l’évolution de la législation sur le sujet. Or, qui dit paiement instantané dit fraude instantanée. A l’heure actuelle, lors d’une transaction qui met plusieurs jours à se réaliser, une potentielle victime à le temps de réagir et d’appeler sa banque. Quand les paiements instantanés seront devenus la règle, ce ne sera plus possible. Les escroqueries vont augmenter… Il va être nécessaire pour les banques d’adapter leur système de détection de fraude ce qui implique de prendre en compte de plus en plus de données pour un traitement de transactions et profilage du client en temps réel.
Qant. Et au-delà du paiement instantané ?
Luis Junes. Il faut penser notamment aux comptes-mules, des comptes numériques utilisés pour transférer des fonds illégalement acquis d'une adresse à une autre. C’est un phénomène qui existe depuis longtemps, depuis que les parcours de création de compte en ligne sont apparus. Mais il va s’amplifier grâce à la massification des paiements instantanés, qui vont permettre aux criminels de réaliser des transactions instantanées. Aujourd’hui, ce problème est difficile à résoudre, notamment en raison de la situation économique actuelle : certains individus en difficulté financière peuvent accepter de jouer le rôle de compte mule en échange de rémunération.
Qant. Feedzai se définit comme la première plateforme RiskOps au monde. Qu’entendez-vous par là ?
Luis Junes. RiskOps est un terme qui a été créé par Feedzai, pour transmettre l’idée de ce que nous proposons : une plateforme dans laquelle toute institution pourra construire une stratégie de lutte contre la criminalité financière au sens large. Nous englobons à la fois des aspects de lutte contre la fraude et de conformité en relation à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). Dans les solutions actuelles, ces domaines sont traités dans des silos séparés, même au sein des banques la structure est gérée séparément (équipes anti-fraude, équipes LCB-FT). Cependant, lorsqu’on lutte contre la criminalité financière, les données sont les mêmes, qu’il s’agisse de la fraude ou la LCB-FT. Nous proposons une plateforme unique qui permet aux équipes d’interagir plus facilement et d’avoir une meilleure efficacité opérationnelle.
Qant. Quel rôle joue l’IA dans vos solutions ?
Luis Junes. L’IA est une partie fondamentale de nos solutions, qui détecte les transactions frauduleuses. Nous entraînons, testons et déployons des modèles de machine learning en production au sein de notre plateforme. Nous proposons une plateforme avec un cycle de vie agile, car la fraude est agile : la fraude d’aujourd’hui ne sera pas celle de demain. Les systèmes actuels ne sont pas agiles et demandent l’intervention fréquente des équipes IT. Notre solution permet aux entreprises de se concentrer sur la lutte contre la fraude, et laisser les aspects d’infrastructure de côté.
Qant. Qu’est-ce qui différencie votre solution de vos concurrents ?
Luis Junes. Un composant clé de tout système anti-fraude est la capacité de traiter des centaines de données par transaction en temps réel, ce que permet notre technologie. Nous avons également beaucoup investi dans nos capacités d’accélérer le cycle de data science. Lutter contre la fraude avec l’IA ne se limite pas à créer un modèle de machine learning offline. La capacité d’être réactif est également majeure. Lorsqu’une nouvelle fraude survient, il faut pouvoir réentraîner le modèle de machine learning de manière agile. Tout le monde fait de l’IA, mais il faut savoir faire de l’IA en production.
Nous sommes conscients que l’IA va devenir de plus en plus une « commodity ». Aujourd’hui, il faut que les banques aient l’envie et les moyens d’investir dans l’IA. Mais elles n’ont pas nécessairement intérêt à construire une plateforme qui existe déjà et qui a fait ses preuves en matière de traitement de transactions en temps réel et innovation se focalisant sur le vrai sujet: lutter contre la fraude.
Propos recueillis par Maurice de Rambuteau