IA et industries créatives : les mesures de l’Arcom

Créer à l’heure de l’IA • Qant, M. de R. avec Midjourney

Le rapport de la mission IA de l'Arcom analyse l'impact croissant de l'IA dans les secteurs créatifs et de l'information. Elle propose ses premières recommandations concrètes.

L'Arcom (autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), a rendu public cette semaine le rapport de la mission sur l'IA, lancée en septembre 2023 (lire Qant du 15 octobre). Elle y fait un bilan complet des usages de l'intelligence artificielle dans les domaines de la création audiovisuelle et de l'information.

Le document, dirigé par Antoine Boilley et Benoît Loutrel, membres du Collège de l'Arcom, offre une vision détaillée des changements en cours et se concentre surtout sur les défis actuels posés par l'IA, en particulier l'IA générative, dans les processus de création audiovisuelle et d'information. En plus de fournir une analyse des transformations actuelles, le rapport propose des recommandations destinées aux régulateurs et aux acteurs des industries concernées pour s'adapter à cette nouvelle ère.

Des transformations multiples : de la création à l'information

L'IA touche désormais tous les aspects de la chaîne de valeur dans les secteurs créatifs. Que ce soit dans le développement de scénarios, la production audiovisuelle ou la postproduction, ces technologies facilitent la création, l'édition et la diffusion de contenu. Le rapport cite plusieurs exemples de pratiques innovantes, comme l'usage d'outils de génération de scénarios ou de deepfakes pour accélérer la production. L'IA générative, en particulier, est devenue un outil puissant pour optimiser les ressources créatives tout en réduisant les coûts de production.

En préproduction, l'IA intervient dans le chiffrage budgétaire des projets. Des outils comme la start-up américaine Nolan.ai facilitent la création de tableaux de bord budgétaires, le découpage des scènes, et l'organisation des calendriers de tournage, automatisant ainsi de nombreuses tâches administratives et chronophages. Par exemple, un producteur peut utiliser l'IA pour estimer les besoins en décors et accessoires à partir d'un scénario, ce qui réduit considérablement le temps de préparation d'un tournage.

En post-production, l'IA est également devenue incontournable pour la création d'effets spéciaux. Netflix a expérimenté cette technologie dans son court métrage d'animation The Dog and the Boy, où les décors et personnages étaient en grande partie générés par IA.

The Dog and the Boy, court-métrage de Netflix avec des images générées par IA

De plus, les deepfakes, utilisés dans la série Plus belle la vie, permettent de cloner des visages et de remplacer des acteurs. Cependant, ces innovations posent aussi de nouveaux défis, notamment en ce qui concerne les droits d'auteur et la pérennité des métiers techniques.

Des recommandations pour encadrer les usages de l'IA

Les technologies comme les deepfakes et la génération automatique de contenu posent des questions sur l'authenticité et la transparence des œuvres audiovisuelles, soulevant des craintes parmi les professionnels du secteur. Le rapport met en avant plusieurs recommandations pour réguler l'utilisation de l'IA dans les secteurs créatifs et de l'information. L’Arcom se propose notamment de :

  • Renforcer la transparence des contenus générés par l'IA : l'Arcom préconise une régulation plus stricte des contenus créés via des outils d'IA générative. Cela inclut l'obligation pour les créateurs de signaler de manière claire lorsque des œuvres ou des éléments visuels ont été produits à l'aide d'outils d'IA. Cette transparence veut maintenir la confiance des spectateurs et des consommateurs, mise à mal par l’IA générative.
  • Mettre en place des formations professionnelles : Le rapport insiste sur l'importance de la formation continue des professionnels des secteurs créatifs et de l'information. Il recommande la mise en place de programmes de formation pour familiariser les employés avec les outils d'IA et leur permettre d'adapter leurs compétences aux nouvelles exigences du marché. Ces formations doivent cibler aussi bien les créateurs de contenu que les techniciens, afin de garantir une transition harmonieuse vers l'usage de ces technologies.
  • Soutenir l'innovation européenne : Pour éviter une dépendance excessive vis-à-vis des grandes entreprises technologiques américaines, l'Arcom appelle à un soutien accru à l'innovation européenne. Cela inclut la création de bases de données souveraines, la promotion d'outils d'IA européens et le financement de projets de recherche locaux. Cette recommandation vise à protéger la diversité culturelle européenne et à garantir une certaine autonomie face aux géants du secteur.
  • Promouvoir une IA écoresponsable : Enfin, le rapport insiste sur la nécessité de développer des pratiques d'IA écoresponsables. Avec la montée en puissance des grands modèles de langage, qui consomment d'importantes quantités d'énergie, il devient essentiel de limiter l'usage de ces technologies aux cas où elles apportent une véritable valeur ajoutée. L'Arcom encourage les créateurs et les diffuseurs à faire preuve de frugalité dans leur recours à l'IA, afin de minimiser l'empreinte environnementale de ces outils.

L’IA journaliste

Dans l’information, l’IA joue un rôle croissant dans la collecte et la vérification. Le rapport cite plusieurs exemples d'utilisation de l'IA pour vérifier en temps réel les informations diffusées à l'antenne, comme l'outil StatCheck développé par l'Inria et Radio France. Ces technologies offrent un soutien précieux aux journalistes, leur permettant de traiter de grandes quantités de données et de vérifier les déclarations politiques et économiques en temps réel.

En outre, des outils comme le Projet Spinoza, développé par Reporters sans Frontières en partenariat avec l'Apig et Ekimetrics (lire Qant du 15 novembre 2023), facilitent la recherche documentaire pour les journalistes. Ce système interroge une base de données de sources fiables et structurées, comme des rapports environnementaux, pour générer des réponses aux questions des journalistes. Cela leur permet de traiter rapidement de grandes quantités d'informations, tout en veillant à la qualité et à la fiabilité des réponses fournies.

L'IA présente bien sûr également des défis pour les journalistes, notamment en ce qui concerne la protection des sources et l'éthique du traitement des informations. Les systèmes d'IA, en raison de leurs modèles d'apprentissage sur des données massives, peuvent parfois reproduire des biais ou altérer l'interprétation des informations. Le rapport recommande donc d'encadrer strictement l'usage de ces outils dans les rédactions pour éviter toute manipulation ou distorsion involontaire des faits.

Une IA à réguler pour une adoption harmonieuse

Le rapport de l'Arcom conclut sur une note positive en soulignant que l'intelligence artificielle, bien qu'elle pose des défis majeurs, offre des opportunités inestimables pour les secteurs de la création et de l'information. L'IA peut permettre aux créateurs et aux journalistes d'atteindre de nouveaux sommets de productivité et de créativité, à condition que son usage soit régulé et transparent. Les recommandations proposées visent à encadrer cette transition, tout en garantissant la protection des emplois, des droits des créateurs et la souveraineté des outils européens dans ce domaine.

Pour en savoir plus :

L’essentiel