Des scientifiques des universités de Nanjing et de Pékin ont démontré qu’il est possible de contrôler dynamiquement l’altitude de vol de pigeons vivants, équipés d’implants cérébraux, en stimulant électriquement le locus coeruleus, une petite structure du tronc cérébral connue pour son rôle dans la régulation de la motricité. Le dispositif, embarqué sur le dos de l’animal, permet une modulation ascendante ou descendante de la trajectoire, sans affecter sa direction ni sa capacité de navigation autonome.
Cette technologie, testée en conditions extérieures sur huit pigeons entraînés au vol de retour, repose sur une interface cerveau-machine capable d’émettre des impulsions électriques vers la zone ciblée du cerveau. L’étude montre que selon la fréquence des impulsions, il est possible de provoquer une montée, une descente ou un maintien de l’altitude de vol, avec un haut niveau de fiabilité. Ce contrôle bidirectionnel de la hauteur constitue une avancée conséquente dans le développement de plateformes bio-hybrides pilotables en trois dimensions.
Un système de stimulation fondé sur la fréquence
Les chercheurs ont identifié la fréquence de stimulation électrique (stimulation frequency, SF) comme le paramètre déterminant pour induire un changement d’altitude. À 60 Hz, les pigeons s’élèvent en moyenne de 12,2 mètres, avec un taux de réussite de 87,7 %. À 80 Hz, ils amorcent une descente contrôlée de 15,6 mètres en moyenne, pour un taux de succès de 90,5 %. En deçà de 40 Hz, aucune modification significative d’altitude n’est observée, tandis qu’à 100 Hz, les descentes deviennent rapides et instables, évoquant une perte de contrôle.
Ces effets sont reproductibles et corrélés de manière nette à la fréquence appliquée au locus coeruleus (LoC), centre de production de noradrénaline du cerveau, impliqué dans la motricité et la régulation du tonus musculaire. La stimulation est délivrée via un micro-dispositif de 6,3 grammes fixé sur le dos du pigeon, qui comprend un générateur d’impulsions, un GPS et un capteur de pression atmosphérique.
L’effet modulateur du nombre de cycles
Taux de réussite moyen du contrôle de l'altitude de vol chez le robot-pigeon en fonction de différents paramètres de stimulation. • Source : Ke Fang et al.
Outre la fréquence, le nombre de cycles de stimulation (stimulation cycles, SC) influence l’amplitude de la variation d’altitude. Plus le nombre de cycles est élevé, plus le changement est marqué. Par exemple, en passant de 3 à 5 cycles à 60 Hz, la hauteur de montée augmente significativement. Ce paramètre agit comme un amplificateur du mouvement, sans en changer la direction.
L’intervalle entre deux stimulations (interstimulus interval, ISI), quant à lui, joue un rôle secondaire. À fréquence égale, un ISI plus long peut faciliter une descente plus progressive à 100 Hz, mais n’a pas d’effet sensible à 80 Hz ou 60 Hz. Ces résultats suggèrent que le SF détermine le sens du mouvement (montée ou descente), tandis que le SC module son intensité.
Des vols en environnement réel
L’expérimentation a été conduite sur plusieurs mois entre 2021 et 2022, dans des conditions extérieures standardisées : vent inférieur à 2 m/s, ciel clair, température contrôlée. Les pigeons étaient relâchés à 11,6 km du pigeonnier, après avoir été entraînés au vol de retour. Chaque stimulation était précédée et suivie de périodes de vol libre permettant une comparaison précise.
Les données de vol, enregistrées à 5 Hz, ont été converties en coordonnées UTM et lissées par moyenne glissante. Les variations d’altitude supérieures à ±5 m ont été considérées comme des réponses induites par la stimulation. Les trajectoires ne montraient aucun changement de direction, ce qui confirme que la stimulation du LoC n’affecte pas l’orientation spatiale.
Une activation neuronale différenciée selon l’environnement
Les auteurs soulignent que le même protocole de stimulation appliqué en laboratoire ne provoque que des postures de pré-décollage à 60 Hz, sans envol. Ce contraste avec les résultats obtenus en extérieur suggère une modulation du comportement moteur par l’environnement. Le LoC activerait des sous-circuits neuronaux différents selon le contexte spatial.
Ces observations rejoignent celles faites chez d’autres espèces : chez le rat, des stimulations de 20 à 50 Hz dans certaines régions du tronc cérébral induisent des comportements locomoteurs différenciés. L’activation à haute fréquence (100 Hz) pourrait quant à elle provoquer une surexcitation du LoC, menant à une perte d’équilibre et à une descente d’urgence.
Vers une optimisation adaptative des paramètres
Les auteurs insistent sur la nécessité d’un réglage précis des paramètres de stimulation pour garantir la stabilité et la sécurité du vol. Une fréquence de 60 Hz à 80 Hz, combinée à 5 cycles de stimulation, semble constituer un compromis efficace entre contrôle de l’altitude et confort neuronal. Des SC plus courts conviendraient à des vols stationnaires, tandis que des SC plus longs faciliteraient des manœuvres de franchissement ou de contournement.
L’étude suggère aussi que l’extension de l’intervalle ISI pourrait limiter la fatigue neuronale, surtout lors de missions prolongées. Ce point reste à approfondir, notamment pour les applications en surveillance environnementale, patrouille ou sauvetage.
Limites et perspectives expérimentales
La principale limite de l’étude tient à la taille de l’échantillon (huit individus), ainsi qu’à l’absence de mesures électrophysiologiques directes. Les chercheurs recommandent d’associer à l’avenir l’enregistrement en temps réel de l’activité neuronale, afin d’identifier avec plus de précision les circuits activés par chaque fréquence.
Par ailleurs, les conditions environnementales — vent, température, pression — pourraient moduler les effets observés. L’intégration de capteurs externes et le développement d’algorithmes adaptatifs capables de modifier les paramètres de stimulation en temps réel selon les conditions de vol seraient des pistes prometteuses pour renforcer la robustesse du dispositif.
Pour en savoir plus :
- Ke Fang et al., Dynamically Controlled Flight Altitudes in Robo-Pigeons via Locus Coeruleus Neurostimulation, National Library of Médicine, 2025